Contes des trois saisons
Pathos et humour donnent une dimension mythique au quotidien dans ce conte cruel mais résolument optimiste aux vives couleurs, opus 32 de Rudolf Thome.
L’argument: Pink écrit des poèmes qui lui valent une notoriété de rock star et qu’elle lit en public lors de tournées dans toute l’Allemagne. Trois hommes la courtisent et, lorsqu’elle décide de se marier, elle les note et fait le total des points de chacun des candidats à l’aide de la machine à calculer. Pourtant elle se trompe à deux reprises avant de choisir le bon.
Notre avis: Depuis Die Versöhnung, son premier court-métrage tourné en 1964, Rudolf Thome construit pas à pas une oeuvre d’une admirable cohérence sous l’apparente décontraction mais dont la diffusion, après le coup d’éclat de Rote Sonne en 1969, est restée le plus souvent confidentielle. Aucun des huit films qu’il a fait depuis Paradiso (1999) n’est parvenu sur les écrans français. Le plus récent, Das rote Zimmer - la chambre rouge, l’opus 33, est sorti en Allemagne en janvier 2011.
La trame narrative chez Thome est toujours à la fois très simple et un peu lacunaire (Ca avance par à-coups avec des trous gigantesques, dit-il) et adopte généralement la structure du conte. Pink ne fait pas exception à la règle avec son héroïne trouvant chaussure à son pied au troisième essai après avoir surmonté les épreuves indispensables à tout parcours initiatique. Le personnage joué par Hannah Herzsprung, avec son air de petite fille obstinée et méthodique qui entend contrôler son existence et forcer le bonheur, n’est pas sans rappeler certaines héroïnes rohmeriennes et les deux cinéastes ont plus d’un trait commun, à commencer par le goût des cycles (la trilogie Zeitreisen 2002-2005).
L’un comme l’autre, dignes émules de Hawks, refusent les effets de style trop voyants et cultivent une apparence lisse, voire volontairement superficielle. Mais ils ont tous deux l’oeil du peintre et de l’architecte, et l’auteur de Rot und blau - Rouge et bleu (2002) est capable de concevoir une scène à partir d’une idée de couleur, comme cette incroyable couverture rouge étendue sur l’herbe dans un des derniers plans du film. (Elle est assise sur une couverture rouge, ce qui est bien sur excessif parce que ça flashe sur le vert de l’herbe, mais j’aime beaucoup ce genre de choses). Et comme l’auteur des Contes des quatre saisons Thome, dans Pink, filme admirablement l’automne, l’hiver et le printemps.
Côté dialogues c’est plutôt à Biette (Le champignon des Carpathes) que font penser ceux de Thome : même goût du bricolage naïf à base de jeux de mots et même absence totale de tout cynisme. D’une simplicité déconcertante ils avancent toujours sur la corde raide du pathos et de l’humour. Lorsque Pink dit à l’admirateur trop envahissant qui l’aborde dans un train qu’elle a un pistolet dans son sac à main et qu’elle va s’en servir ce n’est pas du bluff. Son deuxième mari l’apprendra à ses dépends.
Un des plus beaux exemples de l’humour si particulier du film est fourni lorsque Pink déclare le décès de son premier mari à l’état civil. L’employé, aimable et souriant, se lance alors dans une apologie de sa fonction aux accents presque lyriques : Nous sommes l’administration la plus importante du pays. Lorsque les gens naissent, nous établissons un acte de naissance, puis ils se marient, et nous établissons un acte de mariage, puis il meurent et nous établissons un acte de décès. N’est-ce pas un cycle parfait ?
On aura compris que malgré son optimisme déterminé, l’univers de Thome n’est pas aussi rose qu’il en a l’air. A preuve la scène du suicide du mari N°1 qui se pend en escaladant une chaise roulante de bureau qu’il va pousser du pied après s’être lancé dans un compte à rebours interrompu par un hurlement : c’est précis, concret, terrible et dérisoire à la fois.
Thome ne force jamais le trait mais la netteté de son écriture filmique apporte une dimension mythique au quotidien. Il le dit lui-même : Il y a toujours beaucoup de pathos, parce que le pathos me permet de pousser une situation à l’extrême, et en même temps tout est montré de façon très quotidienne. Je tourne presque toujours comme ça, c’est l’essence de ma manière de faire des films.
Et de ce cinéma léger, qui respire le bonheur de filmer, émane un mystère, celui de l’évidence.
Claude Rieffel dans Avoir-alire.com 9.2.2011 |