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Court Métrages |
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Long Métrages | ||
Info |
IL EST TEMPS D'AIMER THOME |
Serge Daney | Rudolf
Thome nest pas mécontent. Ni de lui, ni du public allemand
qui a fini par le reconnaître, ni des perspectives d'avenir puisque
son tout dernier film, Tarot. ira forcément à Cannes. Thome
aurait pu être mécontent, cependant. Puisqu'en France, lorsqu'on
mentionne le déja vieux ex-jeune cinéma allemand (Fassbinder,
Wenders, Schröter, Herzog, etc.) on oublie régulièrement
Thome. Seuls deux de ses films ont été commercialement distribués
en France, le météorique Made in Germany and USA(1974)
et l'aérolithique Description d'une île (1979). Ce dernier
film est pourtant l'un des projet filmiques les plus calmement ahurissants
du cinéma des années soixante dix. Trop lisse, trop pervers,
trop ennemi de toute glu sentimentale pour faire à Thome autre chose
qu'une bonne réputation en sourdine. Cela devrait cesser. Il y a trop peu de cinéastes qui se fassent encore «une certaine idée» du cinéma, de celui qu'ils veulent faire et de celu qu'ils ne veulent pas faire, pour que nous nous payions plus longtemps le luxe de ne pas compter Thome parmi ceux qui ont bien raison de s'obstiner. LIBERATION. - Qu'est-ce qui est venu d'abord, les personnages ou l'ordinateur? RUDOLF THOME.- Les personnages. A l'époque je ne m'intéressais pas beaucoup aux ordinateurs. A la fin du tournage de Berlin Chamissoplatz, mon scénariste Jochen Brunow m'a dit, ce serait bien d'avoir un film avec Ganz, Zischler et une femme. Javais rencontré Ganz une fois dans un aéroport, je n'aimais pas trop ce qu il faisait dans les films où il jouait, je le trouvais différent, plus intéressant que ça. Ensuite, on a dù lire des choses dans les journaux comme cette histoire fabuleuse du type qui a passé toutes les décimales des opérations bancaires sur un compte à part... L. - Et maintenant, ça vous intéresse davantage? R.T. - Maintenant, ça me passionne (rires). J'ai appris deux ou trois langàges informatiques, je peux programmer, j'en sais beaucoup plus. L. - Dans le film, beaucoup de choses se passent dans la tête des gens ou dans la mémoire des ordinateurs; cela crée un monde un peu désincarné, un monde nouveau à explorer. RT. - Je ne suis pas d'accord. En général, les cinéastes allemands ont une idée en tête, a priori, et ils la font passer dans le film. Alors qu'en France - et pour moi le meilleur exemple est Rohmer, surtout les Nuits de la pleine lune - il y a des cinéastes qui nexpliquent rien, qui vous montrent seulement les acteurs. Pascale Ogier, je pourrais la regarder des heures, chaque petit mouvement qu'elle fait compte et en même temps cela ne signifie pas immédiatement. L. - Behaviorisme? R.T. - Oui L. - Comme Rohmer, vous aimez ce moment où il n' y a plus rien à comprendre et à élucider et il reste tout à voir et montrer. R.T. - Oui, je me méfié beaucoup de la psychologie. J'ai confiance.dans la chimie. En un sens je crois au destin. DansTarot, je fais dire à un personnage «vous rencontrer toujours les gens auprès de qui vous aller apprendre quelque chose.». L. - Est-ce qu'il ne subsiste pas en Allemagne plus qu'en France, cette idée d'expérimentation? R.T. - Non, je me sens plus proche de Rohmer ou du Jarmusch de Stranger than Paradis. Il y a peu de temps, j'ai vu pendant dix jours tous les films de Rossellini parce que je suis en train d'écrire un livre sur lui. Maintenant, je sais pourquoi je me sens proche de lui. Cette façon d'observer les gens, de rester toujours près d'eux... Même dans les films de télévision de la fin que beaucoup de gens n'aiment pas, les films sur saint Augustin, les Medicis, le Messie, (j'adore le Messie!), il y a cela. L. - Un cinéaste qui prend la peine décrire sur un cinéaste du passé, c'est devenu une chose rare. R.T.- Je pense que c'est à moi de le faire. J'avais vu les films de Rossellini dans le désordre. J'étais très impressionné par Stromboli, Anima nera ou Vanina Vanini... Cest mon devoir, en un sens, parce que personne d'autre ne le fera. Il y a bien Adriano Apra qui est en train de réunir une somme sur Rossellini, mais mon point de vue diverge du sien. L. - Rossellini c'est à la fois la question des médias (la télé) et la question du temps (le temps qu'il faut pour comprendre les choses). Or, s'il y a une chose qui manque de plus en plus, c'est bien la patience. R.T. - En général, les gens n'ont plus cette patience. Nous sommes soumis au style incroyablement rapide du nouveau cinéma américain. Dès qu'on en sort, les gens disent «mais c'est long!». Un critique américain a vu mon film à Chicago et il a remarqué que mes scènes étaient toujours un petit peu plus longues que «la normale». Je le sais bien, je le fais exprès. L. - Comment avez-vous rencontré, Dominique Lafin? R.T. - Je dois admettre que c'est Juliet Berto, que je voulais. Je la voulais déjà pour Description d'une île. Mais à chaque fois ça nest pas fait. Javais vu Dominique Laffin, dans la Femme qui pleure, je l'avais trouvée formidable, et j'ai très vite pensé à elle pour le rôle de... Juliet. Elle a appris l'allemand pour jouer le rôle, cétait très dur pour elle. L.- Il y a trois parenthèses musicales dans le film, à la fois et troublantes. R.T. - Jai eu beaucoup de problèmes avec ça. Le distributeur a failli ne pas sortir le film. Je ne pense quand même pas que ce soit si difficile pour un spectateur de les accepter. Je crois qu 'il s'agit d'une sorte de commentaire de ce qui se passe à l'intérieur de Bruno Ganz. La première scène, avec Mikro Rilling qui improvise au violoncelle, renvoie à son présent, la seconde avec Laurie Anderson, à son futur et la troisième avec les masques du carnaval suisse, à son passé. Enfin, le crois... L. - Cela veut dire quoi le cinéma «allemand» en 1986? R.T. - Je ne suis pas trop pessimiste. Après tout, Zimmermann n'a pas réussi son coup. Il voulait rétablir et encourager un cinéma allemand commercial, comme avant, mais même ce cinéma-là, on ne sait plus le faire! Il faudra bien que le cinéma allemand continue avec ses auteurs. L. - Et où est-ce que ça se passe? R.T. -A Berlin et à Munich. Sans qu'on puisse parler de «styles» respectifs. Un moment, on avait parlé d'une «sensibilité munichoise» à propos de gens comme Wenders, Straub ou moi. Je déteste ce genre d'étiquetage. Je suis allé à Berlin et aussitôt on a parlé de «sensibilité berlinoise». L. - Les acteurs allemands sont-ils inspirants? R.T. - Dans ce film, Zischler et Ganz sont très près de ce quils sont dans la vie. C'est ce que je veux. Avec Ganz surtout, il fallait toujours l'empêcher de surjouer, et même de jouer. Au théâtre, c'est différent, ils doivent jouer, bien que je n'aime pas beaucoup non plus la façon dont ils jouent au théâtre, où d'ailleurs je vais assez peu... L. - Et le cinéma français vu d'Allemagne?... R.T. - Il me suffit quil y ait quelqu'un comme Rohmer dont je sais que nous travaillons un peu sur les mêmes choses. C'est un vieil homme maintenant et pourtant ses films sont de plus en plus jeunes, de plus en plus frais... (visiblement, Thome - qui a 47 ans entend bien, lui aussi, aller vers une fraicheur de plus en plus grande). |